proposée par Marc             

Communion solennelle, église du Bon Pasteur.
Le souvenir que j’en garde est pavé de… brimborions, toutes ces petites choses si délicieuses et par conséquent réputées futiles :
Le crissement des chaussures neuves. La sensation nouvelle des pantalons longs qui chatouillent les genoux, avant de s’en aller effleurer le bout desdites chaussures : premier prodige, puisque pour la première fois de sa vie, en station debout, …on ne peut pas voir complètement ses pieds.
Et l’onctuosité du brassard de satin blanc qui volète au gré du mouvement du bras !
Le livre de messe enfin, pas tout à fait un brimborion quand même, serré dans sa main, qui craque et fleure le cuir, ses images saintes tapies à l’intérieur : elles ont été choisies avec gravité en compagnie des mères chez la marchande d’articles religieux…
Avec au bout, la promesse de l’hostie fondante, au goût ineffable.

Parce que c’est un grand jour, tout est baigné d’effusion et d’héroïsme en montant les marches qui mènent aux pierres noircies de l’austère église du Bon Pasteur, enclavée, cernée par de longs escaliers gris et raides : c’est un monstre triste, endormi, à cheval sur les pentes.
La victime expiatoire, le futur communiant, a été soigneusement préparée : amollie, attendrie ; réduite au silence et à l’obéissance ; et pour finir, asphyxiée sous un amoncellement de cadeaux et de petites attentions silencieuses, qui ruineront le porte-monnaie des familles :

La montre de communion réglementaire : offerte.
Le stylo Waterman à plume d’or : offert.
Le missel, bruissant de son papier… bible : offert.
L’ensemble veste-pantalon-chemise-cravate des magasins Sigrand, sans omettre l’indispensable pochette en dents de scie : offerts.
Les chaussures lacées de frais, qui brillent et qui font tout de suite mal : offertes…
Tout cela pour le prix – c’est à peine croyable – de votre soumission, jeune homme, de votre air confit, ébloui, et qui n’a rien compris : parce que bien sûr tout est en latin.

Bientôt, il y aura sur les dalles le bruit des pas de la procession disciplinée des aspirants à la communion, rythmée par les éclats flamboyants du soleil à travers les vitraux, parce que forcément il y a du soleil un jour pareil…
Il y aura la senteur des fleurs qui écœure (des lys).
La musique éraillée de l’harmonium.
Un sermon aussi, terrifiant et qui assomme, qui se conclura par les ultimes recommandations patelines pour bien conduire sa vie.
L’encens enfin, qui endort, estourbit même, au gré du balancement frénétique du bras de l’enfant de chœur qui le répand.

Après…, tout de suite après, il y aura le morceau de choix : le « repas de communion » et la pièce montée qui attend dans un coin.
Le repas sera maussade, si le père est anarchiste ou simplement pas vraiment d’accord.
Il sera tonitruant, généreusement arrosé : dionysiaque, si les racines campagnardes de la famille sont encore vives.
En on fumera des cigares sous la table, dans ses pantalons neufs.

Dans ces communions si solennelles de la fin des années cinquante, l’effusion était donc de la partie.
Mais elle n’était pas vraiment céleste : bien plutôt de l’ordre des plaisirs décidément terrestres, de ceux que procurent les brimborions, breloques et autres pendeloques.
Brimborion ? Du latin breviarium, signifiant « prières marmonnées, prononcées sans soin ».
Damned !
Etonnons-nous, que tous – presque tous – premiers communiants des années cinquante, nous ayons tout laissé choir ensuite, envoyant balader nos brassards et nos cierges au plus profond des orties, pour devenir définitivement (?) incroyants.
Bon…, que Dieu me pardonne, si c’est possible.

L’église du Bon-Pasteur a été édifiée entre 1875 et 1883 sur les pentes de la Croix-Rousse par l’architecte lyonnais Clair Tisseur, également auteur de nombreux ouvrages en patois lyonnais sous le pseudonyme de Nizier de Puitspelu. De style roman poitevin, cette église est magnifique mais aucun parvis n’a jamais été construit : la porte d’entrée se situe donc à plus de 3 mètres du sol ! L’accès se faisait par des portes latérales donnant sur les escaliers de la montée Neyret.
L’église du Bon-Pasteur n’est plus affectée au culte catholique.