proposée par Marc                                    

Place Colbert.
C’est une vraie place : elle est simple, immobile, un peu mystérieuse. Son espace a quelque chose de particulier, assimilable à aucun autre. J’y suis passé souvent. Elle ne change pas.
Dans un coin reculé de la place Colbert, des volets beiges, toujours clos : un atelier d’artisan, électricien, frigoriste. Lui, a été sous-marinier, bourlingueur, caporal cité à l’ordre de son corps d’armée pour acte de courage…
Mon oncle Ernest.
Il était venu de sa lointaine ville de Dunkerque pour s’établir à Lyon, peu après la guerre.
La maladie l’avait ensuite emporté, très tôt, au milieu des années cinquante, l’année de mes sept ans.
Cet oncle, je m’en souviens et je lui garde une affection tranquille, constante.
Il n’a pas pu échapper tout à fait au statut d’icône ; pour moi, une icône familière et bienveillante.
Une sorte d’image protectrice, si seulement je croyais à tout ça.
Je garde de lui une image qui fait du bien : celle d’un homme rieur, gouailleur, qui passait la tête à l’improviste à la maison.
Des yeux d’eau, une longue silhouette ; un air d’élégance ; j’ai toujours trouvé qu’il ressemblait à… Gary Cooper ; et il avait cette sorte de détachement, de nonchalance…
Pendant cinquante ans, son atelier était resté en l’état, tous volets fermés, dont la peinture résistait au temps comme elle pouvait.
J’imaginais que le fatras à l’intérieur, de fils électriques, de pièces métalliques, de frigos hors d’âge et de factures à envoyer, était resté inchangé.
Ce fatras est un des mes souvenirs les plus anciens. La mémoire ancienne est toujours magmatique.
Et chaque fois que je traversais la place Colbert, c’était l’ombre de l’oncle Ernest qui m’accompagnait, qui veillait derrière ses volets silencieux, comme un petit morceau de mémoire vivante, rencogné là.
Jusqu’à ce jour, après quelques années où je n’étais pas revenu.
L’atelier n’était plus là.
A la place, se dressait un petit immeuble, avec porte en verre et aluminium, interphone, tout ce qu’il fallait…
Il n’était pas nécessaire de vérifier si le nom de l’oncle Ernest figurait dans la liste.

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) ministre de Louis XIV, étudie dans le quartier du Change de Lyon en 1634 chez les banquiers Mascrani. Devenu contrôleur général des finances, il favorise le développement des soies de Lyon…
Dans le quartier des pentes de la Croix-Rousse la place Colbert coupe la pente escarpée de « la saint-sé » – montée Saint-Sébastien -, historiquement l’axe principal qui permettait d’accéder des quartiers Croix-Paquet et du Griffon (quartiers des anciens soyeux) au village de la Croix-Rousse et au-delà à Genève, via une porte percée dans le rempart de la Croix-Rousse.
Les pentes de la Croix-Rousse font partie depuis 1998, du territoire classé au patrimoine Mondial par l’Unesco.