proposée par Marc                  

Ou, pour être complet : « bistanclaque-pan ! » (les retranscriptions par l’Académie varient)

Bon, il y en avait un au rez-de-chaussée de notre immeuble de la rue de l’Alma, un autre au pied du Mont-Sauvage. J’étais copain avec le petit garçon de chacune des familles.

Des petits garçons qui ne la ramenaient pas, habitués à jouer solitairement, pendant que père et mère s’occupaient du métier à tisser, lequel envoyait toute la journée de violents et sonores « bistanclac…, pan ! » : un coup pour la longue pédale de bois qu’on actionne sous le métier et qui lance le mouvement ; un coup, plus étouffé, et le battant s’en va ; un autre, le plus ébouriffant, et la navette de bois ciré fuse à la vitesse du son : un clac!, mat et sec ; un dernier pour le retour du battant sur le fil de  trame, que la navette vient d’entraîner à sa suite (si du moins, j’ai bien compris l’affaire, que l’on m’a expliquée beaucoup plus tard).

Plusieurs choses m’impressionnaient et me sont restées, en plus de la rumeur incessante du métier qui montait par la cage d’escalier jusqu’à notre quatrième étage, rumeur transpercée par la véhémence de la navette, hargneuse comme une mangouste. Et d’abord la pénombre : une demi-obscurité de caverne. L’opiniâtreté ensuite, celle des canuts : courbés sur le métier, les heures étaient longues, occupés à recharger les bobines, le père obligé souvent de se balader dans les hauteurs, perdu dans les cintres, comme dans un théâtre. La patience et la douceur de la mère surtout, contrainte d’arrêter le métier à d’innombrables reprises, pour, tout petits ciseaux en main, renouer un fil rompu, avant d’en couper les extrémités superflues et de lisser le tout du plat de la main, toujours. Cela faisait mon désespoir, un désespoir irraisonné, celui de voir cet orchestre symphonique, violent, au souffle puissant, brisé dans son élan, celui aussi de la catastrophe du travail qui n’avancerait pas…

Mais ni la mère, ni le père, ne juraient contre la machine : pas une parole, pas une invective, cela faisait semblait-il partie du sort : du sort du canut. Et je crois bien que la famille habitait au-dessus du métier, renvoyée tout en haut, comme plaquée dans les hauteurs, tout l’espace étant laissé à la machine. Où bien l’ai-je rêvé ? Le peuple silencieux des canuts, voguant sur l’océan du vacarme de leurs métiers, devait à la fin des années cinquante se compter sur les doigts d’une main dans le quartier. Deux au moins de ces métiers étaient à portée de patins à roulettes, des miens en tout cas.

Au cœur de la Croix-Rousse démonstrations sur métier à bras Jacquard  (maisondescanuts.fr)