proposée par Marc                  

L’usine Verdol était une  sorte d’institution un peu mystérieuse pour les habitants de la rue Dumont d’Urville. Pour les petits élèves de l’école Commandant Arnaud aussi, qui ne songeaient guère à lever les yeux sur la haute façade aux fenêtres aveugles. Une sorte de banque protestante de la mécanique textile. Personne n’en sortait ou n’y entrait. Sauf à se poster aux heures  où la pointeuse connaissait quelque affluence, période brève, où chacun se pressait, deux fois par jour pour ne pas être en retard, et deux autres fois pour filer chez soi mettre ses pieds fatigués sous la table. L’odeur d’huile de machine accompagnait celui qui rentrait, comme elle le ferait sa vie durant.

Pour l’écolier qui pointait son nez, un seul personnage semblait habiter ce lieu : le « Père Gisselbrecht », un Alsacien, sorte de lutin à barbe blanche et pointue, à l’autorité parfaitement débonnaire. Le concierge. Il avait l’œil sur chaque mouvement, de sa loge étroite perchée au premier étage, qui donnait sur la rue, sur l’entrée noire en contrebas et sur l’horloge pointeuse.

Dans le ventre du bâtiment, l’atelier, assez vaste, bruyant et odorant. Toujours ce parfum d’huile. Et pour le gamin qui y pénétrait, le plus frappant : le sol, d’un noir profond et mat, comme celui d’un très vieux garage qui mêle sa poussière à la graisse déposée là par des décennies de vidanges.

Reste l’impression d’une communauté d’hommes au travail – pas de femmes ou si peu – plutôt paisibles et accueillants dans leur relation avec l’enfant. Le sentiment surtout, daté du siècle précédent, de travailleurs qui prennent leur mal en patience, sans enthousiasme, sans révolte à l’horizon, soutenus par un ciment, celui d’être ensemble collés comme des coquillages à la coque de cette maison noire, à l’odeur épaisse comme du goudron.

La Société anonyme des mécaniques Verdol est installée à la Croix-Rousse de 1895 à 1983 au 16 rue Dumont d’Urville (les quais de déchargement au 15 rue Louis Thévenet – actuel gymnase Maurice Scève)Jules Verdol crée une mécanique pour les métiers à tisser capable de lire le « papier sans fin » : dans le système Jacquard, un dessin de 1000 cartons pèse 53kg, alors que dans le système Verdol le même dessin ne pèse plus que 2 kg !