proposée par Marc                  

Monsieur Fichot. Mon maître de CM2.
Je m’en souviens comme d’une église (bien que je ne fréquente pas trop les églises).
Il était très grand. Nous, pas tellement, c’est vrai.
Il était plutôt du genre impassible. Nous, bien sûr, on bougeait tout le temps. Enfin…, pas en classe, ce n’était pas vraiment conseillé.
Il avait des allures d’homme tranquille, tranquille et sûr, dépositaire de l’équité…
Un peu comme dans les westerns que nous verrions plus tard.

Quand il « faisait la classe », il était craint, craint et écouté.
Il vous entraînait avec lui…, sur des chemins ardus, les maths : les décimales après la virgule ; les restes : vestiges énigmatiques de la division ; les fractions, nanties de tous leurs numérateurs et de tous leurs dénominateurs, vrais pièges à moineaux, les moineaux que nous étions…
Sur des chemins souriants aussi, des chemins rêveurs.
Et c’était l’Histoire : Bayard et sa plume se balançant tout en haut de son heaume, Louis XI et ses cages pour bossus, Bernard Palissy qui un jour a pris un coup de chaud en envoyant tout son mobilier dans sa cheminée… ; toute une troupe de joyeux drilles, toujours en bagarre ou bien dans l’ombre de leurs complots ourdis, assommés de bruit, enivrés par la fureur et l’odeur de la poudre…, absorbés par leurs razzias, qui dévastaient les champs des paysans courbés sur leur charrue.
Et jamais nous n’aurions été les Seigneurs. Nous aurions forcément été de pauvres serfs, serrés devant un maigre feu, sur la terre battue de la ferme, et nous aurions eu l’air abattus.
Le passé…, c’était tout de même terrible…
Et bien sûr, ces immenses machines silencieuses à rêver, véritable Rorschach pour les enfants : les cartes de géo, aux tendres pastels, suspendues à leurs œillets de fer blanc ; à côté de l’équerre et du té en bois jaune poussin…
La poésie aussi, avec son cahier particulier : le lundi, nous sortions nos « cahiers de poésie »…
Et puis la leçon de Morale…, la leçon de Choses… : des choses familières ou très étranges.

Et les manteaux alignés dans le couloir peint de beige…
Bon…, je rêve…, me dirigeant en douce, avec mes collègues en rangs serrés dans le couloir, faisant sonner les escaliers de pierre, vers la cour de récréation, royaume du Choco BN, deux étages plus bas.
La récréation et ses jeux du cirque.
C’est là, dans cette cour bitumée, vaste comme la mer, que monsieur Fichot prenait toute sa dimension, se revêtait de toute sa splendeur : un large béret pincé sur le devant, toujours à l’aplomb de son crâne (qui brillait en-dessous), ombrant ses yeux vert clair et son teint olive, son immuable blouse grise sanglée d’une ceinture au double anneau de métal.

Monsieur Fichot tournait dans la cour, présence tranquillement tutélaire, au milieu du tourbillon des élèves.
Un tourbillon savant, qui connaissait d’instinct les limites à ne pas franchir, sinon… : coup de sifflet.
Bref et net, il rétablirait l’ordre naturel, assorti d’un index plié-déplié, qui convoquerait le petit, tout petit « délinquant », lequel se rendrait à la convocation de l’autorité en fondant dans sa culotte courte.
En hiver, c’était une canadienne marron, mais on reconnaissait monsieur Fichot de loin, le cou enfoncé dans un col en fausse laine de mouton.
Monsieur Fichot faisait sa ronde, en compagnie de collègues, d’autres maîtres (peu de maîtresses) : des athlétiques, plus jeunes, fans de basket déjà à l’époque ; des qui avaient des airs de savants de laboratoire ou des allures de bibliothécaires…
Et monsieur Fichot fumait. Merveilleusement. Posément. Pas des cigarettes de cowboy d’opérette. Des Gauloises.

Nous adorions, je crois, son mystère. Sa puissance sereine, son amour attentif et sans concession.
On ne se le disait pas alors. Ça ne se faisait pas, et nous n’avions pas encore les mots.
Maintenant : je m’en souviens.
Et je me dis que ces « pédagos à l’ancienne » étaient nos étoiles, qui, à chaque minute de chacune de nos journées, nous préparaient à devenir des citoyens.

Ecole La Fontaine place Flammarion : la cour d’école – côté garçons !