proposée par Marc                  

On en parlait dans les familles à mots brefs.
Les enfants en l’apercevant se gaussaient en douce, le suivaient parfois à distance, le contournaient au large avec une pointe de déférence, et surtout, un peu de dégoût enchanté.
Ce personnage était une machine, haute, une machine sur roues.
Elle était souvent à l’arrêt, le long d’un trottoir. On tombait dessus en rentrant de l’école.
Elle paraissait attendre.
Ou bien on avait juste le temps de la voir disparaître, avant qu’elle ne tourne au coin d’une rue, rue Ozanam ou rue de Crimée.

Aujourd’hui, ce genre de machines on n’en voit qu’au théâtre dans des pièces bien sombres d’auteurs d’Europe de l’Est, dont le décor est conçu pour impressionner et faire taire les abonnés blasés, avant que les acteurs n’entrent en scène. Ou bien dans les expos d’art contemporain. On dit alors qu’il s’agit d’une « installation » : c’est chic et ça endigue les commentaires spontanés, forcément acerbes..

Dans son milieu naturel : la rue, et à son époque, notre équipage sur roues faisait plutôt penser à un navire fantôme, ou à une patache boueuse, hostile. La voiture du bourreau peut-être…
Elle était pestilentielle.
Souvent, elle répandait sur le trottoir ce qui ressemblait  à ses intestins, et elle palpitait, en attendant on ne savait quoi, ronronnant d’une manière inamicale.
L’odeur montait alors dans les étages, attaquait hardiment les narines et les gorges.
Lorsqu’elle repartait, les gamins la huaient, attendant tout de même qu’elle se fût un peu éloignée.
Ils criaient, nous hurlions :  » la pompe à merde, la pompe à merde ! ».

C’est ainsi que tout le monde l’appelait, très naturellement, en contemplant comme un miracle, cet énorme pot de chambre sur roues, dont on n’apercevait jamais les conducteurs, comme il convient à un vaisseau fantôme.
Elle était donc l’un de nos héros, d’un genre très spécial.
Tout en haut de cet équipage, au-dessus de la cabine de pilotage, un tube, qui avait été transparent, devenu jaune et fort louche, et qui brandissait vers le ciel le résultat de ses sombres courses : le niveau épouvantable des vidanges que la bête avait réussi à ingurgiter avant de rentrer se coucher.

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