proposée par Marc                       

Nous avions une sorte de secret. Nous ? Des enfants. Une petite troupe, d’une petite dizaine. Sept, huit ans pour les plus jeunes, douze, treize pour les plus vieux.

Nous disparaissions. Nous nous faufilions dans les entrailles de la colline, par une étroite ouverture cachée par la broussaille. Comme il se doit nous avions tout d’abord, une après-midi d’été, poussé notre avantage sur seulement quelques mètres. L’obscurité avait été vite complète, augmentée par le silence. De ceux que l’on imagine régner sous terre. Au loin, un chuintement d’eau. Continu, aigrelet, têtu, qui avait l’éternité pour lui. Comme il se doit aussi, nous étions revenus. Equipés d’une maigre lampe de poche. C’était un très étroit couloir, très frais. Si étroit à certains embranchements qu’il nous fallait nous profiler pour passer. Parce qu’il y avait des embranchements.

Nous étions allés cette fois-là, la fois suivante, au bout de notre courage, qui n’était pas si grand, puis nous avions reflué, en bon ordre, sans du tout nous perdre. L’ouverture ensoleillée au bout de la galerie qui nous ramenait sur les pentes dont nous connaissions si bien les broussailles qu’elles n’avaient plus de mystère, nous était alors apparue comme une délicieuse récompense, une sorte de gourmandise reçue en cadeau. Cela nous avait fait un petit creux au ventre, un creux d’émotion. Bien sûr que le secret nous avait soudés, et l’émerveillement aussi.

Chaque jour de ces vacances d’été, nous poussions notre exploration un peu plus loin. C’était étrange et beau, cela imposait un respect d’église à notre petite troupe de mécréants plutôt sages. Cela semblait vouloir s’enfoncer infiniment sous terre. L’eau ruisselait régulièrement, sereine, au sol marqué d’une petite rigole, entre nos pieds bottés de caoutchouc. L’ensemble du réseau paraissait comme soigneusement maçonné. Ou bien était-ce la régularité immémoriale de galeries et de grottes façonnées par la colline et par les eaux. Surtout, surtout, la totalité des parois était recouverte d’une sorte de givre ahurissant, éblouissant et doux, qui ne nous effrayait pas mais ajoutait au silence et à l’étrange. Nous étions comme entrés au paradis, un paradis technique, une sorte d’hôpital en réseau sans malades…

Je ne crois pas que nous nous étions encordés, ni que nous nous tenions, par la main ou la chemise. Simplement nous ne nous lâchions pas. Nous étions des processionnaires, en voie de communion. Nous poussions toujours un peu plus notre avantage, forçant intensément le travail de la mémoire du chemin, pour le retour. C’était le travail du plus âgé qui menait la troupe. Le travail des petits était de faire confiance. Pas un n’a fait défection durant toute cette période.

Un jour – pourquoi? – nous avons cessé nos explorations. Cinquante ans après, j’y repense assez souvent. Je crois bien que l’aîné c’était moi. Nous aurions pu nous perdre, chuter, faire de très mauvaises rencontres. Mais cette terre givrée était vierge. Je ne donnerai pas de détail sur son emplacement, que j’ai parfaitement en tête.

photo trouvée sur le blog http://souterrain-lyon.skyrock.com/