proposée par Marc
Nous avons tous, presque tous, ces sons, ces cris, ces chants, ces appels… dans l’oreille, et maintenant dans la mémoire, avant de disparaître. Certains resteront des appels isolés, planant dans les airs, d’autres sont associés à des images, pour former des petits bouts de rêves.
Ainsi : « …i-tt-ttriéééé-éé… ! » ; « …i-tt-ttriéééé-éé… ! » …, …, …, « …Vi-ii, … ttt…rié-ééééé… ! ».

« chaa-ââr…bô-niéé-éé… »,
… avant que n’apparaisse un visage maculé, comme noirci à la bougie, enluminé par un regard d’eau limpide, mineur des profondeurs en pleine ville, indic du diable, scout crow, roi du silence et des bois… Le crâne surmonté d’une coiffe cousue de chiffons mous qui lui descendait jusqu’aux épaules, il avait sur son dos un énorme sac de jute couleur de ténèbres, que l’homme diable tenait par le bout d’une oreille, signifiant ainsi qu’il avait domestiqué la bête anthracite enfermée là-dedans…
Et puis, très loin dans la mémoire, le dernier livreur peut-être de barres de glace, rutilantes comme une banquise, dégoulinant comme une déroute (les déroutes dégoulinent très souvent) : il allait, son parallélépipède translucide posé comme un gros sucre candy, en équilibre sur le morceau de toile qui protégeait l’épaule du froid de loup…, un pic rudimentaire maintenant le tout en place. Il criait sans lever le regard quelque chose comme : « gla-aace… ! Qui veut de la gla-aace… ? »
Ceux que j’ai croisés, dans ma mémoire sont tous de dos. Et tous en train de disparaître, comme dans un mauvais rêve, au coin d’une rue, dans une embrasure, au pied d’un escalier effrayant, tellement il comptera d’étages à gravir, le pic enfoncé dans la glace en train de perdre les eaux.
Les pattis (« chifff…ô-nn-iééé… ! »),
…les rémouleurs (« cou-out-ôôô…, ciii-zzz…-ôô ! »),
les cavistes agitant leurs bouteilles dans leurs casiers métalliques…, tout un peuple sorti de nulle part, venu pour mêler ses appels à ceux des hirondelles, en un concert de cris et de chuchotements maintenant disparus.
La mémoire, ma mémoire, noircirait-elle un peu tout ? Ou bien, être enfant dans les années cinquante était-ce être confronté à tant de mystères irrésolus et de merveilles ambigües, assiégé par la peine des hommes au travail ?
Je me souviens du « patti » : il passait rue Denfert avec ses pattes et ses peaux.
… et puis il y avait aussi ceux qui amenaient un peu de poésie en chantant dans les rues. A l’époque il y avait des pièces trouées, on mettait un peu de journal dans le trou et on lançait la pièce par la fenêtre pour remercier le (ou la) chanteur(se) qui nous faisait rêver un moment.
(le journal dans le trou de la pièce faisait poids et évitait à celle-ci d’aller rouler n’importe où, je précise pour ceux qui n’ont pas connu cette époque…)
J’habitais au 3 impasse Dubois, c’est vrai que dans les petits jardins, devant les immeubles, certains élevaient des lapins dans des clapiers , notamment la mère Richard qui habitait un taudis au rez-de-chaussée du 5 !
Joli texte de Marc (le fils de ma maîtresse d’école !).
J’ai trouvé cette vidéo de 1957 avec un type qui porte la hotte comme je la portais pour livrer les cartonnages des soyeux : https://bit.ly/2Rxq0CG
Je ployais sous mes charges. Je me taisais, un peu honteux. Les copains, eux, restaient à l’école.
En tant que portefaix, aviez-vous un cri (ou des cris) ou bien restiez-vous muets sous la charge ?
Personnellement, j’ajouterai dans la catégorie des portefaix celle à la quelle j’ai appartenu à quinze ans ; celle de ceux qui livraient des cartonnages aux soyeux sur une espèce de hotte. Le début de mes universités…
Le marchand de pattes !
Je me souviens de ma terreur, un jour qu’on m’avait envoyée chercher le pain au bout de notre rue, rue de l’Alma : je suis restée cachée un grand moment au coin de la rue, n’osant pas passer à côté de sa carriole !
L’engueulade en rentrant, par ma mère, folle d’inquiétude ne me voyant pas revenir…
Celui qui nous faisait le plus peur, car on nous menaçait de l’appeler quand nous n’étions « pas sages » : c’était le marchand de pattes (le patti)
Oh… … pattes !!!
Il ramassait les chiffons mais aussi les peaux de lapins : ce sont ces peaux qui m’effrayaient.
Les gens avaient des lapins (impasse Dubois par exemple) juste à côté de chez moi.