proposée par Marc
Nous, les vaillants, nous les tricards, les reclus (bon… j’exagère un peu), avons passé toute notre scolarité de collégiens dans des bâtiments préfabriqués, étriqués, ensablés.
A compter de la fin des années cinquante, chassant les boulistes de leur paradis, ils ont donné au Clos Jouve des allures de village gaulois : maisonnettes groupées à l’intérieur d’un enclos étroit, fumées des poêles qui s’échappaient en direction du ciel… Une bonne douzaine de baraques en fibrociment, posées sur des parpaings qui les surélevaient, façon far-west de films à petit budget. Chaque baraque accueillait deux salles de classe, auxquelles on accédait par un escalier court et raide, genre qu’on emprunte en fixant la corde de chanvre qui se balance. Bon j’exagère encore un peu… Mais, avec le recul, on s’étonne, que tous, nous les produits du baby-boom, nous ayons parfaitement accepté de vivre notre vie d’élèves dans de pareilles cages à poules – à poulets plutôt, puisque c’était un collège de garçons.
C’était le royaume de la poussière : la terre battue de la cour, martelée journellement par les collégiens, avait vite été réduite en une poudre fine. Elle s’infiltrait dans les classes, transformant le sol en plancher croûté de salle de bals campagnards. Dans les classes c’était un bazar épouvantable, tables et chaises réglementaires composant des figures aléatoires délirantes, qui ne pouvaient nous inciter à nous intéresser aux sciences exactes. La topographie du village ne comportait que de rares points de repère au sein de ce magma de bric-à-brac et de poussière : le poste de police tout d’abord, près de l’unique entrée, où trônait le surgé rimbaldien, avec ses pattes courtes, son collier de barbe et ses yeux indifférents derrière les verres épais de ses lunettes. Il était flanqué en permanence de deux ou trois sbires plutôt pâles et maigres, occupés à fumer dans un étroit réduit, avec une seule distraction qui éclairerait leur journée : celle de pincer les mômes sur le fait. Il y avait ensuite la salle attribuée aux sciences nat’ : blottie sur la droite, elle nous guettait d’un œil torve, telle une morgue, avec ses bacs à dissection et son odeur de formol…
Dans une seule salle de classe, l’ordre régnait, un ordre austère et strict, celui qui convient pour s’égosiller et postillonner dans nos flûtes à bec : la salle de musique. Monsieur T… (il portait un nom d’ustensile de cuisine, mais ce n’était pas monsieur Casserole…), monsieur T… ressemblait furieusement à Croquignol (mais sans doute ne lisait-il pas comme nous le récit de ses méfaits dans les Aventures des Pieds-Nickelés) : immensément long, par la taille comme par le nez, des cheveux frisotant au sommet de son crâne…, il était froid comme un poisson, cassant comme une biscotte. A un moment choisi par lui, il s’aidait d’un harmonium de table, et l’un d’entre nous devait pomper à ses côtés, pendant que l’instrument travaillait à nous dégoûter de la musique sous les longs doigts du même monsieur T… Il n’est heureusement pas parvenu à ses fins : Johnny allait bientôt arriver, qui nous convierait à la joie d’une autre musique.
Et pendant les mois d’hiver, les poêles nous berçaient de leurs ronflements. Mais c’était un village : alors nous n’y fûmes pas malheureux, je crois. Plus tard nous connaîtrions une sorte de cathédrale : l’immense, dominateur et sombre lycée Neyret, quelques rues plus bas…, avant de monter à bord d’un bâtiment encore plus immense, mais tout en longueur celui-là : le navire-usine, le Saint-Exupéry, qui choisirait de sortir de terre pour notre année de terminale.
Le clos Jouve : 31-51 boulevard de la Croix-RousseLe clos Jouve est le nom donné au quartier, autour de la portion ouest du boulevard de la Croix-Rousse, mais plus particulièrement au terrain devant l’Ecole Normale d’Instituteurs (actuelle INSPE) qui fut réaménagé en jeux de boules après la destruction dans les années 60 des préfabriqués du lycée Neyret.
Bonjour
élève de 1958 à 1961, puis Neyret et ouverture st Ex.
j’ai connu les prof cités et d’autres Guy, Morosof… Bonnerue
bonne ambiance, cantine déplorable à Morel chez les filles…
Bonjour Alain,
Moi aussi j’ai été élève élève de 1958 à 1961, puis Neyret et ouverture de St-Ex.
J’ai donc aussi connu ces profs Guy (excellent prof de maths) , Morozof (aussi), Bonnerue (histoire-géo), la bonne ambiance avec les bons copains de l’époque, malgré un ou deux connards – comme partout ailleurs en France et dans le Monde – la cantine déplorable à Morel chez les filles, le rang pour y aller depuis le Clos-Jouve.
Jamais revu des anciens de l’époque, sauf Christian : « Bonjour », une fois, 20 ans après…
Peut-être qu’on se connait ? demande mon adresse mail au contact du site…
À bientôt, j’espère !
Bonjour Laurent,
Vous avez donc été un de ces petits « minots » que chaque rentrée scolaire voyait débarquer de leur école primaire, la timidité (pas pour longtemps) et l’excitation inscrites sur leur visage…
En vous écrivant, me remonte aux narines l’odeur des fournitures neuves : du bois tendre des crayons, du plastique ramolli des protège-cahiers…
P.S. : il ne vous a pas échappé que le nom du débonnaire surgé était à chaque rentrée immédiatement transformé en Percev…che !
Bonjour et merci pour cet article amusant.
J’ai connu également P…x comme surgé à Saint-Ex juste avant sa retraite, en 1980 (ainsi que Goetz). J’étais demi-pensionnaire en 6ème bilingue et ledit surgé n’avait visiblement pas changé ses habitudes car il passait son temps entre midi et 2 à sillonner ce vaste établissement à la poursuite de ceux et celles d’entre nous qui jouaient à cache-cache au lieu d’aller en salle d’étude. On sortait tout juste de l’école primaire…
De mémoire il n’a jamais chopé personne (en tout cas pas moi), on repérait sa barbiche et sa chemise à carreaux à 3 km. L’énorme concierge du bahut, en revanche, m’a bel et bien coincé une fois, la trouille de ma vie j’ai failli en pisser dans ma culotte.
Bonjour Alain,
Nous avons dû être contemporains (mon année de 6ème a coïncidé avec l’inauguration de ce bâtiment « provisoire », sans doute en 57).
Le professeur de musique assez british s’appelait monsieur Th…, comme le récipient du même nom (phonétiquement).
Le prof de sciences nat (forcément un peu étrange), s’appelait M. Lagoutte, comme l’acide que l’on dispensait sur les cuisses de son élevage de grenouilles…
Le prof d’anglais était peut-être ce monsieur à la longue silhouette nonchalante, qui paraissait s’ennuyer un peu, regardant son monde avec une certaine distance… élégante.
L’homme qui nous a enseigné le français en 4ème puis en troisième était monsieur Loubat, un conteur, charmeur, qui avait un petit air de Camus.
Lui aussi fumait en classe…
Quant au professeur d’allemand, il pourrait s’agir de monsieur Goetz, très strict, très craint et très bon : il a éveillé mon intérêt pour cette langue, qui ne s’est pas éteint ; pour d’autres langues ensuite aussi : le japonais, l’espagnol, un peu de russe, outre l’anglais pour le travail… et même quelques bribes de bambara et de tamashek… pour le plaisir et pour les cultures qui les sous-tendent (ceci dit, non pas pour se vanter, mais pour se raconter un peu… entre collègues).
Le surgé à barbiche était monsieur Perceveaux (qui a resurgi ensuite au lycée St Ex), qui nous contait par ailleurs les tribulations des Romains, que cela ne semblait pas passionner…
Je crois bien me souvenir enfin du prof de gym ; par temps de brouillard, lord des 800 mètres, les loustics coupaient carrément par le milieu de la piste et arrivaient loin devant, tout frais…
Confraternellement et amicalement, Marc
Perceveaux ! mais bien sûr ! Vous avez une meilleure mémoire que moi. Quant au prof de musique : Theière ?
Je me suis souvenu d’un prof de maths qui jouait aux boules et qu’on retrouvait régulièrement place Tabareau, après les cours. Le prof d’allemand, c’est sûrement celui que vous évoquez même si son nom ne me dit rien. Mais 60 ans après, faut pas trop en demander. Idem pour Loubat : le prof de français auquel je pense était sympa et portait un béret, me semble-t-il. Quant à sa ressemblance avec Camus, elle ne m’avait pas frappé à l’époque – et pour cause. Il nous avait fait faire une dictée avec le mot coryphée : nous qui n’avions jamais mis les pieds au théâtre et ne savions évidemment rien du théâtre grec. Une autre époque en effet.
J’ai fréquenté ces préfabriqués de 1957 à 61, de la 6ième à la 3ième. Souvenirs identiques concernant le prof de musique : je n’ai pas retrouvé son nom malgré les indices fournis. J’avais oublié le surgé mais le portrait que vous en faîtes me laisse penser que c’était le même. J’ai oublié la plupart des profs : maths, sciences nat, histoire-géo ? Je revois un prof de français, mais surtout un prof d’anglais en blouse blanche qui fumait des cigarettes à filtre et un prof d’allemand très efficace. De bons profs me semble-t-il. Aucun n’était chahuté. Le plus débonnaire était un prof de gym – sans doute en fin de carrière – qui nous emmenait au clos Jouve de l’autre côté du boulevard, qui commençait par nous faire faire un tour de piste puis nous donnait un ballon et nous laissait quartier libre. C’était avant que les idéologues de la pédagogie envahissent le système.