proposée par Marc
On l’appelait « la laitière ».
Et le magasin, totalement identifié à la commerçante, c’était « chez la laitière« , une petite dame brune, limite taciturne, taiseuse, même si elle maniait avec constance l’amabilité convenue des commerçants de l’époque. Une amabilité souvent alors mâtinée d’autoritarisme, mais pas chez elle. Trop rêveuse pour cela sans doute. Toujours emmitouflée, la dame : dans son magasin aux murs entièrement carrelés de blanc, il y faisait forcément froid, plus que chez son collègue le boucher ou le charcutier, aux antipodes da la tiède boulangerie tenue par madame Berry (elle, avait un nom).
Là, on vendait des produits frais…, froids, et tout blancs, qui tous vous regardent depuis leurs cuves et leurs faisselles d’un œil d’outre-tombe un peu inquiétant : comme une sorte de paradis pour des enfants partis beaucoup trop tôt…
On y débitait du lait frais en vrac, que l’on venait chercher la berte à la main, sa chaînette sonnaillant contre le couvercle. Quelques fromages, nécessairement frais, dont ce fromage blanc lisse, qui attendait comme une mare tentatrice dans son énorme cuve.
A se damner (l’enfer se mêlait ici volontiers au paradis). Et j’en retrouve en écrivant le goût faible sur la langue, qui laissait toute la place à sa texture sans concurrence. Du beurre en motte bien jaune aussi, coupé au fil, quelques yaourts en pots de verre ventrus, des œufs alignés dans leurs alvéoles de carton… Etait-ce tout ? Je crois bien.
Ce qui faisait qu’après avoir manœuvré le bec de cane en bakélite noire, il fallait franchir un vaste espace désert (au sol revêtu d’un carrelage de cuisine, noir et blanc celui-là), avant d’atteindre le comptoir de marbre blanc : le magasin était à moitié vide. Un vide essentiel, parce qu’on y vendait seulement ce pour quoi on avait vocation, tout comme le charcutier vendait ses saucisses, son boudin, son jambon, tout juste quelques côtelettes…, et surtout pas de gratins de ceci ou de cela, encore moins de vins… ; et le pharmacien vendait ses potions, toutes faites ou préparées, et rien de toute l’épicerie baroque que nous lui connaissons aujourd’hui.
Ce n’était ni mieux ni pire, c’était très différent : l’espace du magasin était réglé par une sorte d’étiquette stricte et le commerçant officiait, dans sa liturgie, même s’il n’oubliait pas de compter de près sa toute petite monnaie, qui pouvait faire à la fin de grandes rivières.
Derrière son comptoir, la laitière attendait, debout, à côté de sa sévère balance Testut, des clientes pas si nombreuses mais qu’elle connaissait toutes.
C’était au-milieu des années cinquante, rue Sainte-Clotilde.
Trop rarement, ma mère m’enverrait chez la laitière, depuis la rue de l’Alma. Je m’y rendrais, la berte à la main, sa chaînette sonnaillant contre le couvercle.
Bonjour,
Est-ce que quelqu’un se souvient d’une laiterie (années1950 à 60) de la famille Berru, les parents François et Germaine et la fille Suzanne ?
Les parents étaient mon parrain et ma marraine et je n’ai plus jamais eu de nouvelles d’eux. J’avais fait ma première communion à Lyon et je n’y suis jamais retournée.
Bonjour Gilbert
Je me souviens de de votre laiterie, il y en avait une autre rue de Vauzelles.
Je crois que vous avez, vous même, continué dans le commerce des fleurs. Exact?
Parlez-vous du laitier de la rue d’Austerlitz qui roulait sur son triporteur en chemise, manches roulées jusqu’en haut, été comme hiver ? Et qui montait quatre à quatre les escaliers des immeubles avec son sifflet pour prévenir de sa livraison ?
Je me souviens aussi du laitier rue Denfert-Rochereau, pendant qu’il montait dans les étages, nous jouions avec son triporteur. Quand il redescendait, il le retrouvait un peu plus loin…
Cher Marc,
Je me suis peut-être un peu trop focalisé sur les « erreurs », qui n’enlèvent rien à la justesse – la tendresse ? – de votre portrait ; Ma jeune soeur me rappelait que nous aussi, enfants, nous « craignions » notre Maman, pourtant des plus gentilles…
Dans quelques temps je proposerai la parution de photos illustrant votre petite histoire, que nous avons lue, bien sûr, avec une certaine émotion.
Votre message me fait tellement plaisir
Vous pouvez dire… « tendresse »
Savez-vous que j’ai l’image du visage de votre mère très précisément à l’esprit, après tout ce temps ?
Et son attitude, pelotonnée comme un oiseau près de sa balance (Roberval).
Un personnage, fait de bienveillance et d’un peu de sévérité dans mon souvenir (ce qu’il faut pour bien tenir un commerce…)
J’attends avec impatience les photos, qui vont me faire un coup au coeur, certainement…
Amicalement
Cher Monsieur Laithier
Incroyable !
Pardon pour les erreurs (cela remonte à une soixantaine d’années…)
Il faudra donc que je retrouve la trace de cette motte de beurre jaune qui m’a fait rêver…
J’espère que j’ai su faire passer un peu de la magie, mêlée de crainte respectueuse, qui m’animaient, lorsqu’enfant je me rendais chez » la laitière « , pardon… chez Madame Laithier.
PS : en vous lisant, je suis presque sûr d’avoir croisé votre père ou un de ses collègues dans les rues de la Coix-Rousse (c’est le tintinnabulement des bouteilles et bidons qui me reste dans l’oreille)
Bien à vous.
Effectivement je me souviens que ma mère disait aller chez madame « laitier » et non pas chez la laitière… ça ne m’intriguait pas du tout : j’avais 5 ans !
Je suis un des fils de « la laitière », et il y a 2 erreurs :
– ma mère n’a jamais vendu de beurre au détail, seulement en plaquettes ;
– il n’y avait pas de balance Testud dans le magasin, mais une balance Roberval, aux plateaux en cuivre, contrôlée régulièrement par le service des Fraudes, car la présence de cette balance était obligatoire, pour permettre aux clients de vérifier le poids des marchandises.
Un autre détail que vous semblez ignorer, la laitière s’appelait… Madame Laithier ! C’est le nom de mon père – et le mien – patronyme plus fréquent dans le Haut-Doubs, dont mon père était originaire.
Mon père, arrivé jeune à Lyon était garçon laitier sur les pentes de la Croix-Rousse, montée des Carmélites.
IL gravissait 250 étages par jour, avec un bidon de 11 litres, pour servir les clientes devant leur porte et remplir les bertes laissées seules devant les autres portes, avec l’argent correspondant à la quantité désirée; ni l’argent, ni le lait ne disparaissaient…
Mon père, au guidon de son triporteur, avec bidons et bouteilles, se fait arrêter par la Maréchaussée pour un motif quelconque :
– « Donnez-moi votre nom ! »
– « Laithier »
Le Pandore, croyant qu’il se fichait de sa figure :
– « Je le vois bien que vous êtes laitier, je ne vous demande pas ce que vous faites, je vous demande votre nom »
L’agent de la force publique est resté sans voix devant la carte d’identité présentée…