proposée par Marc
Le ciné-club « Traboule 59 » – c’était son nom – était une belle chose. Il était même devenu vital. Irremplaçable, comme le café-billard du village, il était devenu l’équivalent du Ciné Rex et autres Rialto, avec ouvreuses et tout, qu’il n’y avait plus dans le quartier.
Il avait pris pour nous la succession du cinéma paroissial Saint-Augustin, où nous allions chaque dimanche après-midi nous engouffrer Michel Strogoff ou La Tulipe noire, en même temps qu’un rebondi paquet de bonbons Kréma – ou bien étaient-ce des Mint’Ho ? Ou des Bounty ? Non, Kréma. Cela reste un point d’histoire croix-roussienne à élucider. Bref, « Traboule 59 » avait pris la suite de « Saint-Augustin ». Un virage idéologique à 180°.
C’était aussi que c’était le samedi soir et pas le dimanche après-midi, qu’il y avait des filles, et sans doute de leur point de vue des garçons, qu’on n’y allait pas pour la déconnade mais qu’on pouvait y déconner quand même. Le ciné n’était donc plus tenu par des curés mais par des enseignants et inspecteurs des Ecoles, fous de cinéma et fichtrement à gauche, voire plus si affinités (les Leutrat, Perrin… véritables lettrés et croisés du cinéma, américain notamment). Une différence était que les curés ne faisaient pas de prêche, mais les animateurs du ciné-club, si : intro savante, lancement intelligent du débat après…
Ce qui précède étant de fort mauvais esprit (comment résister ?), il faut maintenant dire (musique générique SVP) que « Traboule 59 » a été un délice. Qu’il nous a, pour beaucoup, ouverts au(x) cinéma(s) et que cela ne nous a plus lâchés ensuite. Et puis…, allez, que ce n’était pas du tout du prêche (fin de la musique SVP). De plus ils étaient plutôt coulants avec les « jeunes cons (?) » que nous étions, même quand nous faisions beaucoup de raffut « dans l’fond », ce qui se produisait souvent, et que nous méritions (sans doute) des baffes.
A propos de baffes, voici l’histoire, celle du rififi, en bref : un soir nous avons risqué notre peau (au moins celle de nos fesses, voire plus si…). On avait projeté « Le Trou », de Jacques Becker. Était invité à débattre José Giovanni (Joseph Damiani pour ses intimes), l’un des coscénaristes du film et romancier. Le film nous avait plutôt plu, mais sans doute étions-nous particulièrement lancés : le débat s’est déroulé sur fond de notre « zonzon » de conversations ininterrompues. Le respect que nous avions marqué à l’invité avait été de pure forme, et notre indifférence totale.
La chose était que l’invité, un gringalet chauve, tout sec, au teint jaune, n’était pas seulement romancier, ni seulement corse, mais aussi un ex-repris de justice, dont l’addition avait été suffisamment salée pour justifier qu’il soit … condamné à mort, avant d’être gracié. Il sortait de vingt ans de prison. Ce monsieur, comme il le disait lui-même, avait maintenant payé sa dette, mais on ne se refait pas, on garde quelques réflexes, et dans son cas on déteste être « manqué » comme on dit chez les voyous, surtout par une bande de « petits … » et de « sales p… » et de « …. », voire de « … ».
Nous n’avons su que bien après qu’il avait vraiment voulu nous faire notre affaire. Mais peut-être s’était-il dit qu’il n’allait pas « retomber » pour une bande de « petits c… » et de « … », et de « … ». Les animateurs avaient donc réussi à le calmer. Si au moins il avait eu la délicatesse de se présenter plus complètement, sans doute cela nous aurait-il incité à être bien volontiers plus attentifs. Toujours est-il que nous en avons été surpris. Nous ne pensions pas avoir fait autant de bruit. Il devait aussi être bien susceptible. Et comme il était depuis longtemps retourné dans son milieu, celui du show-biz, il était trop tard pour avoir peur et pour laisser entamer notre belle énergie.
Mais comme il n’est jamais trop tard, même cinquante ans après : qu’il soit clair que si jamais nous avons pu gêner quelques personnes par notre zonzon, comme le bruit en a couru, notamment des profs à nous, puisqu’il y en avait plein la salle…, nous serions prêts à en discuter : pour examiner les conditions d’une éventuelle amende honorable !
Le Ciné-club « Traboule 59 » (1958-1965) utilisait l’amphithéâtre du CRDP, 47 rue Philippe de Lassalle. Le bulletin mensuel du ciné-club publiait des dossiers sur les films et réalisateurs présents dans la programmation (Editeur : Office Régional du Cinéma Educateur Laïque de Lyon).
Bon souvenir pour moi aussi, je travaillais au Cinéma Educateur, directeur : M.Perrin, et je venais le mercredi soir au ciné-club Traboule. J’y ai vu aussi José Giovanni, qui présentait « Le Haut-Fer », et bien d’autres metteurs en scène…
merci pour cette anecdote qui m’éclaire sur ce ciné club dont je possède une publication et que je n’arrivais pas à situer rue Philippe de Lassalle. Comme Alain, je suis un peu plus jeune et n’ai connu que le ciné des mercredi après-midi à l’école Flammarion.
Et qui se souvient du ciné de patronage à l’école Flammarion? Là, j’ai vu les Laurel et Hardy, Cent francs par seconde (nom d’une émission de radio), l’odyssée du Docteur Wessel… et surtout ces films qui se déroulaient dans la France coloniale, le beau méhari qui meurt à la fin et enterré aux abords du douar. Ah! ces images du drapeau sur le soleil couchant…
Je me souviens y avoir vu « Le Guépard » de Visconti peu après sa sortie en salles : j’avais moins de 14 ans et ce film m’a sans doute donné le goût du bon cinéma…
Effectivement « dans l’fond » les grands et grandes vivaient leur vie ! Les profs et autres adultes étaient devant et nous les petits au milieu. Présentation du film puis débat après le film nous laissaient indifférents en apparence, mais je pense qu’il en reste quelque chose…