proposée par Marc
J’étais Cul’d’pat’. Le dernier arrivé dans la patrouille des Renards, paroisse du Bon Pasteur. A chaque retrouvaille, le chef de patrouille au garde-à-vous, le fanion brandi, criait d’une voix aussi mâle que possible à l’adresse du groupe : « Renards toujours à l’a…??? ». Et les huit scouts alignés devant lui par ordre de tailles lui hurlaient ensemble d’une voix flûtée : « …ffût !!! »
Le chef de pat’, lui, était une personne de petite taille. Nous, nous disions : « nain », à l’époque. Mais enfin on n’en parlait pas. On l’appelait par son prénom : Pierrot, avec un peu d’affection – pas trop, pour ne pas l’alerter…, avec un naturel affecté, surtout au début… ; ce qui l’alertait évidemment, l’avertissait de ce qu’il savait, et qu’il avait apprivoisé beaucoup mieux que nous : sa très petite taille… ; sans parler des broches qu’il avait fallu lui mettre dans ses jambes, pour les renforcer et lui permettre de marcher, en avançant une patte après l’autre d’un mouvement de dandinement opiniâtre.
Il mettait tout son orgueil à honorer la position de chef de pat’ qui lui avait été conférée : en accomplissant, sac au dos, les longues marches caniculaires ou bien transies de pluie que nous effectuions, des plus petits aux plus grands ; cul d’pat’ inclus, dont l’un des « privilèges » à l’étape était de nettoyer la marmite au torrent, après en avoir gratté le fond avec un peu de sable. Parfois, pourtant, à bout de force, Pierrot acceptait de terminer l’étape porté sur les épaules d’un des gaillards de la troupe, l’athlétique chef de la patrouille des Aigles le plus souvent.
Certaines de nos activités se déroulaient au cœur de la Croix-Rousse. Et notamment, le morceau de choix : la descente vertigineuse en rappel d’une sorte de rempart, qui se précipitait dans le vide depuis sa trentaine de mètres de hauteur, celle du Mont sauvage.
Vertigineux pour nous, dont les parents nous interdisaient depuis toujours de seulement nous pencher au-dessus de son parapet pour apercevoir le vide. Chaque scout passait une corde dans un mousqueton attaché à sa ceinture, puis la main gauche agrippant la corde en amont, la main droite en aval, nous montions sur le parapet et, le dos tourné au vide, nous descendions par petits bonds successifs, les pieds repoussant à chaque fois la muraille de pierres – des pierres façon prison ou caserne – glissant jusqu’au sol, très loin, très loin, tout en bas…, mais nous y étions déjà… Je n’ai pas souvenir que nous ayons ressenti de la peur, ni même de l’appréhension, pas même la première fois. Nous faisions confiance et, de de toute façon, il fallait y aller, disciplinés, dents serrées, dans nos petits uniformes kaki.
Le chef de chaque patrouille avait un rôle-clé. Arc-bouté, les deux pieds bloqués sous le rebord du parapet, le dos suspendu à l’horizontale parallèlement au sol, il faisait contrepoids, de manière à « assurer » : à garantir que la corde où se balançait le jeune scout en contrebas, reste en tension, ou quelque chose comme ça. Pierrot n’avait bien sûr pas cédé sa place à un autre pour ce rôle – un autre chef de pat’ baraqué par exemple. Il passait lui aussi la corde dans son dos, s’arc-boutait lui aussi, les deux pieds bloqués sous le rebord, le dos renversé vers le bitume… Sauf qu’il ne pouvait être question d’une position parallèle au sol : le corps de Pierrot faisait comme une boule noueuse, qui donnait furieusement l’impression que la corde pouvait à tout moment l’entraîner en roulé-boulé, basculant par-dessus le parapet dans le vide, vers lequel Pierrot paraissait voluptueusement attiré par le filin, au bout duquel un jeune scout poursuivait sa descente.
Malgré tout le fer qu’il avait dans les jambes, Pierrot ne pesait en effet pas si lourd, moins lourd sans doute que le plus petit des scouts, dont il tenait la vie entre ses mains…, serrées, serrées sur la corde… Nous avions confiance.
A ma connaissance, Pierrot n’a jamais concédé à l’Ange le moindre roulé-boulé, ni ne lui a offert en sacrifice aucune de nos jeunes vies.
En 1852 est ouverte la montée du Mont Sauvage (actuelle montée du Lieutenant Allouche) pour assurer la liaison entre le Mont Sauvage (clos Flandrin où était érigée la Tour Pitra) et la rue du Bon Pasteur.
Était-ce ce scout avec qui nous avions campé en Corse, totémisé » Fourmi astucieuse » ? J’étais dans la troupe de St Denis, patrouille des Ecureuils : » Ecureuils ! D’un seul …? …bond !!! » ; scalp beige et marron.
Aujourd’hui, compte-tenu de ce que j’écris, je placerais mon appartenance aux Ecureuils sous un angle plus… anatomique !
La Corse, oui : souvenir épuisé d’un camp volant.
Heu…, pourquoi plus anatomique ? (Dois-je craindre le pire ?)